Message du Pape à consulter ici
Sermon de la Messe célébrée à Saint-Sulpice
XXVe anniversaire de la FSSP
Monsieur le Curé,
Chers confrères,
Mes bien chers frères,
Dans le message remis par Mgr Luigi Ventura, Nonce apostolique en France, le Souverain Pontife rappelle que c’est dans un moment d’épreuve pour l’Eglise qu’est née la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre. Les larmes inscrites sur le blason de notre communauté témoignent de cette histoire douloureuse.
Lors de la session qui réunissait nos prêtres cette semaine à Lourdes, M. l’abbé Denis Coiffet a rappelé ces circonstances. Elles furent d’autant plus crucifiantes pour nos fondateurs qu’ils avaient tout reçu de Mgr Marcel Lefebvre et qu’ils l’aimaient comme un père. En raison même de la fidélité à l’entière tradition de l’Eglise que leur avait enseigné ce prélat, laquelle réclame la fidélité au successeur de Pierre, la foi dans les promesses du Christ à son Eglise : Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise ; en raison encore de cet esprit de romanité appris de Mgr Lefebvre, qui l’avait lui-même reçu lors de ses années de séminaire à Rome, sous la direction du Révérend Père Le Floch, nos fondateurs ne purent se résoudre à adhérer au sacre d’évêques contre la volonté du successeur de Pierre. Là où est Pierre, là est l’Eglise. Animés de cette foi, nos fondateurs ont posé un acte d’obéissance et d’espérance. Ils se sont tournés, comme le dit le message papal, avec confiance vers le successeur de Pierre, et cette confiance n’a pas été déçue, puisqu’à cette petite dizaine de prêtres, les conditions prévues par le protocole d’accord du 5 mai 1988 furent garanties, offrant aux fidèles attachés au Missel de 1962 et aux traditions latines la possibilité de vivre leur foi dans la pleine communion de l’Eglise.
En célébrant ce matin cette messe d’action de grâces, je vous invite, bien chers fidèles, à partager une intention particulière pour nos frères prêtres de la Fraternité Saint-Pie-X. Nous savons que la main du Pape leur est toujours tendue, et nous les savons hésitants, tiraillés. Prions pour qu’ils aient le courage de faire le choix de Pierre. Même dans sa décision de sacrer quatre évêques, Mgr Lefebvre a toujours refusé d’être considéré comme le chef d’une église autocéphale. Il jugeait que les évêques qu’il consacrait devraient un jour remettre leur épiscopat entre les mains de Pierre. Prions pour qu’ils ne tardent plus, afin que le meilleur de ce qu’ils ont reçu puisse servir au bien de toute l’Eglise, et que la vérité soit prêchée dans l’unité de la charité. Cela est d’autant plus urgent que la situation présente interdit la division. Cela est d’autant plus impératif, que c’est coude à coude que nous devons agir face à la culture de mort, dans une société sécularisée.
L’encouragement du Pape à servir la mission de réconciliation entre tous les fidèles est un appel que la Fraternité Saint-Pierre veut spécialement mettre en œuvre. Oui, nous adhérons de toutes nos forces à cette demande du pape que « tous s’accueillent dans la profession d’une même foi et le lien d’une intense charité fraternelle ».
En ce vingt-cinquième anniversaire de notre communauté, nous sommes puissamment affermis dans notre vocation par les paroles du Saint-Père. Il affirme notre charisme propre et nous demande de ne pas enfouir ce talent reçu mais de le faire fructifier en le mettant au service de l’Eglise. Ces paroles fortes du pape montrent que nous avons toute notre place dans l’Eglise, affirment que nous sommes des catholiques à part entière.
Le pape nous exhorte, avec cette spécificité, dans la possession paisible du patrimoine décrit par nos Constitutions, en particulier la célébration des mystères sacrés selon la forme extraordinaire du rite romain, à prendre une part active à la mission de l’Eglise, et pour cela à donner le témoignage d’une vie sainte, d’une foi ferme et d’une charité inventive et généreuse.
Quel encouragement de nous voir ainsi acceptés par l’Eglise, par la bouche du Souverain pontife, tels que nous sommes, tels que nous avons été fondés, tels que nous avons été reconnus lorsque le Saint-Siège nous a érigés comme Société de vie apostolique de droit pontifical. Ces paroles du Saint-Père montrent que les mesures prises depuis 1988 ne sont pas une parenthèse miséricordieuse mais l’affirmation d’un droit de cité, une entière reconnaissance.
Quel encouragement également de voir le Pape inscrire ses paroles dans la continuité des efforts de ses prédécesseurs, en particulier Benoît XVI, qui n’a eu de cesse de prêcher une meilleure compréhension et mise en œuvre du Magistère récent, ce que dans son discours à la curie romaine, en décembre 2005, il avait appelé l’herméneutique de continuité, cette interprétation de l’enseignement de l’Eglise qui en situe les textes non pas en rupture, mais en cohérence profonde avec la Tradition vivante de l’Eglise. Alors que nous approchons du terme de l’année de la Foi, le message du Saint-Père prend un relief particulier. C’est bien la foi apostolique que nous devons transmettre, et c’est dans cette Foi que le successeur de Pierre vient nous confirmer. Cette foi est une lumière que nous ne pouvons pas mettre sous le boisseau.
Nous recevons également le message du pape accompagnant sa bénédiction comme pressant et exigeant. Au cours des premiers mois de son pontificat, le Saint-Père n’a eu de cesse de nous mettre en garde contre toute forme de narcissisme ou d’auto-référentialité. En célébrant nos 25 ans d’existence, nous ne voulons pas faire notre propre éloge. Ce serait bien orgueilleux. Nous ne voulons pas nous regarder nous-mêmes, ce serait bien stérile. Aussi entendons-nous l’appel du Pape à faire preuve, avec notre charisme propre, d’une charité inventive. Nos prêtres ont fait l’oblation de leur vie au Seigneur pour répondre à son appel, pour jeter les filets avec Pierre sur l’ordre du Seigneur, pour participer à l’évangélisation, pour prêcher le Salut qui vient de Dieu. Nos prêtres savent que pour répondre à cet appel, il faut accepter de semer dans les larmes pour récolter dans la joie. Nous sommes envoyés dans un monde qui est souvent redevenu terre de mission. Le bon pasteur aime ses brebis, et pour aller chercher la brebis perdue ou blessée, il n’a pas peur de s’avancer vers ce que le Pape appelle de manière imagée « les périphéries existentielles ».
Au cours des vingt-cinq premières années de son existence, la Fraternité Saint-Pierre a fait l’expérience de la puissance de la liturgie traditionnelle pour opérer le retour des âmes vers Dieu. Parce que cette liturgie est théocentrique, elle tourne l’homme vers le Seigneur, elle est propre à toucher et à transformer le cœur de tout homme. Elle permet de prendre un soin pastoral de toute personne. Elle n’est pas réservée à quelques-uns, à quelques initiés. Elle peut fonder un apostolat très large. Elle est un instrument pastoral proportionné aux besoins de notre temps, tout simplement parce que le cœur de l’homme ne change pas, et que l’art de la prière de l’Eglise, forgé au cours des siècles dans l’expérience de l’évangélisation, demeure une pastorale très sûre, d’autant plus efficace qu’elle a été davantage éprouvée par le temps.
Parce que cette liturgie met l’homme à genoux devant Dieu, elle répond à ce que le bienheureux Jean-Paul II appelait à raison « l’apostasie silencieuse ». Elle répond à la folie d’un monde sans Dieu en replaçant Dieu au centre, en façonnant par ce caractère christocentrique – selon la belle expression de Benoît XVI – la piété des peuples. Elle a une grande puissance de rayonnement. Elle attire car elle est pleine d’intériorité. Aux âmes qui ont soif d’absolu, faim de Dieu, elle donne un aliment solide. Elle nourrit la piété. Elle fait goûter combien est bon le Seigneur. Cette liturgie est une école de sanctification. C’est un trésor qui appartient à toute l’Eglise, dont tous sont héritiers, auquel tous les fidèles ont le droit de puiser, comme l’a reconnu le Motu proprio Summorum Pontificum.
Aussi n’avons-nous pas le droit, égoïstement, de garder ce trésor pour nous. Que de conversions, que de retour au bercail du Christ avons-nous pu constater par la médiation de cette liturgie. Beaucoup d’entre les fidèles qui y sont attachés ne la connaissaient pas dans leur enfance. Ils n’en sont donc point des nostalgiques. Rencontrant un jour des passeurs d’Espérance, ils l’ont – sur les routes d’un pèlerinage, lors d’une retraite, dans le scoutisme, à l’occasion d’un camp d’été, ou bien tout simplement en entrant sous le porche d’une église – découverte ; ils en sont revenus émerveillés, et leur vie en a été profondément changée. Avec cette liturgie, avec cette lex orandi, ils ont approfondi leur foi ou même se sont convertis, tant est fort le lien qu’elle possède avec la lex credendi, tant elle exprime magnifiquement, dans les mystères célébrés, la Foi de l’Eglise, tant elle invite à les vivre, à les mettre en pratique dans une vie chrétienne sans cesse renouvelée.
Quelle force puisée dans cette prière de l’Eglise pour l’apostolat de nos prêtres. Marchant de messe en messe, l’eucharistie étant le cœur de la vie, ils puisent à l’autel tout leur élan apostolique, et ils ont vocation à ramener ensuite vers ce même autel, au lieu de la rencontre avec le Seigneur, les âmes que Dieu met sur leur chemin. Ils ont certainement, comme le pape les y invite, à faire preuve de charité inventive pour aller trouver les âmes là où elles sont, pour les prendre là où elles en sont, pour se pencher sur elles comme de bons samaritains, et appliquer à leurs blessures le baume de la grâce.
Ces prêtres, bien chers fidèles, ont besoin de vos prières. Car en même temps qu’ils accomplissent la mission confiée par Notre-Seigneur, ils demeurent des hommes pécheurs qui doivent chaque jour de leur vie travailler à leur conversion pour être davantage conformés à Jésus-Christ qui est le Souverain prêtre.
En raison même de cette condition fragile, de ce combat spirituel dans lequel nous sommes tous, bien chers fidèles, engagés, nos prêtres ont à demeurer dans l’humilité, qui apporte la simplicité de cœur, la pauvreté en esprit louée par Notre-Seigneur dans les béatitudes, la componction de l’âme, la pureté d’intention, la magnanimité, la miséricorde envers les pécheurs.
Cette humilité est une vertu essentielle pour vivre en fils de l’Eglise. Nous en avons tous besoin, et nous en manquons tous, tant l’esprit du temps, qui conduit à juger de tout à partir des illusions de notre ego, nous caractérise tous. Sans humilité du cœur pourtant, il est impossible de correspondre à la volonté de Dieu et d’accomplir notre vocation.
Demandons à Notre Dame de renouveler cette humilité en nos âmes, afin que nous servions Dieu et l’Eglise avec un cœur d’autant plus désintéressé que nous ne nous rechercherons pas nous-même, un cœur joyeux qui chantera avec la sainte Vierge le Magnificat d’une action de grâce s’élevant sans cesse vers Dieu.